Écriture créative

Textes écrits par des étudiant·es de l’université Bordeaux Montaigne (L1, Babel, 2022)


Les yeux supervoyants

(A partir du premier poème de L’eau superliquide de Cécile Mainardi)

Lucie Abancazot

Les yeux supervoyants voient mieux que les autres yeux, ils sont un degré au-dessus. les yeux supervoyants savent regarder tous seuls, sans être reliés au cerveau. même à travers deux gros murs de pierre, les yeux supervoyants continuent. les personnes pourvues d’yeux supervoyants voient plus loin que le bout de leur nez. les rayons du soleil ne les piquent pas. comme les chats, ils sont nyctalopes. avec des yeux supervoyants, même en fermant les paupières, on voit tous les détails. quand ils regardent vers le ciel, les yeux supervoyants voient plus loin que les étoiles.  rien ne les trouble. ni la pluie, ni le vent. même les yeux brouillés de larmes je peux encore te voir


Alexandre Deson

(À partir d’un texte de Christophe Tarkos)

Alexandre Casaux

nom : Deson

prénom : Alexandre

date et lieu de naissance : 17 avril 2004, Bayonne, vit et travaille à Bayonne, 18 bis rue d’Espagne 64100 Bayonne.

moi : Je suis une personne stable, autonome, droite. Je suis sans doute un homme, j’ai une vingtaine d’années. Je suis appliqué. Je regarde attentivement, c’est ma façon de comprendre.

J’écris et je lis, mais surtout je fais du skate. Je regarde les vieux skateurs et je les étudie, je les imite. Ils ont tout construit, ils sont grands et fascinants, ils sont lumineux. En les copiant, je m’entraine.  Les vieux auteurs, je les réécris. Je regarde ce qu’ils font. Je regarde ça de loin, de biais, à l’envers, je procède à une vérification. J’essaie pareil. Je fais. Je fais du skate. Je m’approprie, je découvre, j’apprends. J’apprends à imiter.  J’étudie des textes, je réécris des textes.


Emménagement

(À partir d’Habiter outre de Benoît Toqué)

Sarah Wittorski

J’ouvre la porte de la maison. Mes parents me suivent, ils m’accompagnent. C’est mon appartement, le premier. Dedans, il fait chaud, beaucoup trop. C’est à cause de l’isolation – de son absence. Nous entrons dans la pièce principale : salon, cuisine, buanderie, bibliothèque. Tout à la fois.

Mon père se cogne contre l’unique ampoule du salon. Le plafond est trop bas. Les cartons remplis de livres et de babioles sont posés sur le sol. Un peu de moi est dispersé partout.

Comme le frigo est vide, je vais faire les courses. Ce sont mes premières courses. J’achète des pâtes et de la sauce Pesto. C’est le repas préféré des étudiants, c’est ce qu’on dit. Nous pique-niquons tous les trois par terre. Il n’y a pas assez de chaises, et sur la table, nos assiettes ne rentrent pas.

Quand mes parents partent, je commence une expédition spéléologique. C’est chez moi, je visite.


Tri

Maureen Coulon

Faire le tri. 18 ans à essayer de le faire. Trier 18 ans de vie. 18 vies à trier. Voilà une entreprise conséquente. Décision prise à la dernière minute, évidemment. Evidemment, c’est conséquent. Il faut tout ranger, tout vider, tout jeter. Comment pourrais-je en juger. Ce truc-là est plus important que celui-ci. Ce machin a plus de valeur que cette chose. Mais cette chose me sert autant que ce truc. Le truc, c’est que je tiens à tout. Tout me tient. Je suis retenue ici. Mais je dois partir, là-bas.

J’étale, je déballe, je découvre, je retrouve. J’en chiale, je fais une pause, j’y retourne, je m’en sors pas. Tout vider pour tout remplir. À quoi bon. Je n’ai plus le temps. Alors je rempile et je rentasse. Dans un coin. Sous mon lit est un cimetière. Je pars avec rien. Un peu de tout. C’est décousu. Je laisse ma maison là-bas mais je dois me sentir chez moi ici. Je suis donc ici et là-bas. Je n’ai plus de chez moi à moi. Je suis dispersée.

J’ai emmené beaucoup de choses futiles, finalement. Je me sens bien dans le magma. Je me sens bien dans mon amas. Des piles, des tours, des murs entiers d’années empilées. Des repères, j’en conserve dans ma tête, et j’en traine avec moi dans des blocs de papier que l’encre fait peser. Lever l’encre, ça me pèse. Je ne suis pas encrée. Je ne vais nulle part. Je flotte. Je ne sais même pas par où commencer. Peut-être devrais-je me poser. Poser tout ce bazar, avancer.


Le vent superpuissant

(A partir du premier poème de L’eau superliquide de Cécile Mainardi)

Valentine Scherer

c           omme son nom l’indique, le vent superpuissant je l’avais découvert en disant que c’était un vent plus puissant que le vent puissant et que ça portait sur toutes les manifestations physiques possibles qu’on connaissait au vent et à l’air : comment il avance, comment il stagne, comment il se réchauffe, comment il réagit face aux corps qui avancent en lui, comment on le respire, et comment une seule rafale à la façon hyperbrutale dont elle percute votre corps peut vous détacher du sol, comment on y avance, et comment la simple ouverture des bras et des manches dans lesquels le vent s’engouffre vous propulse à l’autre bout de la rue sans qu’on ait à faire le moindre effort, ni un seul mouvement d’extension des jambes − abstraction faite de l’agitation incontrôlable des membres que cela entraîne − encore qu’avec ce genre de milieu excessif qu’est le vent superpuissant, à peine en a-t-on formulé une propriété qu’il se met à provoquer des réactions inverses, et qu’aussitôt l’air s’arrête de vous emporter, vous repose, et vous effleure simplement comme si c’était une brise normale.


Je te dis

(À partir d’un poème de Victor Malzac, Dans l’herbe)

Doucia Lopez

toi 
tu parles	          tu parles
sans cesse mais tu 
          n´écoutes pas 
parfois même 
          tu cries	      tu hurles 
et moi
          j’hurle à l´intérieur
          aussi
alors pourquoi
pourquoi je devrais 
t´écouter toi si tu 
          t´en fiches de ce que je
dis moi de ce que je suis tu ne sais pas 
ce que je 
          veux     	ce que j´aime
tu dis que je suis
          égoïste peut-être
mais j´essaie d´écouter au moins
alors que moi
          moi quand je parle
          c´est silence		radio 

et j´ai envie parfois 
envie de
          que tu sois loin
et d´être loin moi
          d´ici	de partout
ne plus avoir 
à parler   	expliquer	     justifier
nulle part
pourquoi j´ai fait 	ceci
pourquoi j´ai dit 
cela 

et j´aimerais 
          être sur une île 
au moins 	là
il n´y aurait personne 
personne pour ne pas m´écouter


Rouille

(Texte parodique autour de L’Amant de Marguerite Duras)

Robin Barenghi

Je me souviens souvent de lui, si peu. Mon compagnon de Saïgon. J’ai écrit sur cette époque, beaucoup. Mais jamais sur lui. Par pudeur, peut-être. Sûrement. C’est étrange.

Je me souviens parfaitement du jour où je l’ai rencontré, ça oui. Je rentrais chez moi, ou bien j’en partais. Sur le perron, mon adorable, épouvantable mère. Elle fume lentement. Elle ne fait pas attention à moi, ni moi à elle. Pourtant je la revois, pensive, son regard perdu dans les collines vertes qui entourent notre maison. Cela fait bien longtemps que la maison n’existe plus, bien longtemps que ma mère est morte. Lui aussi est mort, d’ailleurs.

Ce jour-là, un bruissement dans les taillis attire mon attention. Je m’approche. Plus près. Enfin, je le vois. La petite fille tend la main. Le chaton s’approche. Il la sent, hésite à s’enfuir. Il reste. Sa truffe vient toucher l’index de la petite. La tête se fourre dans la main. Le contrat est signé pour la vie.

Je sais que je n’ai eu aucun mal à lui trouver un nom. Rouille, c’était ce gringalet à la robe panachée de tâches rousses et brunes. Mais ce n’était ni mon chat, ni celui d’aucune autre. Il aimait son indépendance, et moi aussi. Nous nous croisions, le matin, le soir. Parfois, exprès, je ne finissais pas mon assiette, je lui laissais des restes de poisson, de viande. Un festin.

Petit à petit, la petite fille pense de plus en plus au chaton. Elle croit le voir, l’entendre. Un nuage dans le ciel, elle voit la silhouette de Rouille. Un léger bruit dans les buissons, c’est Rouille. Un souffle de vent lui caresse les mollets. Rouille.

Il faut plusieurs mois avant que j’ose parler de lui à ma famille. Ma mère me répond vaguement quelque chose à propos des nuisibles. Mes frères se taisent. L’annonce s’est mieux passée que prévu. Il grandit vite, Rouille. Il s’enlaidit, aussi. Mignon chaton, la vie dans la nature ne lui fait pas de cadeau. Une oreille déchirée, des touffes de pelage disparues. Il porte de mieux en mieux son nom. Il est sauvage de plus en plus. J’ai du mal à l’approcher. Mais je suis patiente. Et j’aime ce petit être, délaissé de tous. Les jours où il me fuit, je me contente de l’observer de loin. Une ombre se faufile entre les ajoncs, à toute vitesse, et disparaît sous la maison.

Elle porte loin, cette ombre. Sur les rizières, sur la mer, sur le bateau qui me ramènera à Paris.

De mes années à Saïgon, il est mon souvenir le plus tangible. Invariable. Toujours là, en périphérie de ma vie. Je l’oublierai, pendant des années, quand ma vie en France sera bien installée, loin de lui. Puis un jour je rencontrerai un autre chaton, un petit chaton roux, boiteux, malingre. Et tout me reviendra. C’est fou, comme on oublie les choses. Fou aussi comme elles peuvent revenir d’un coup, en bloc, comme si elles n’étaient jamais parties. Je m’en rends compte maintenant.

Rouille est toujours resté à la lisière de mes pensées, de mes romans. Il n’y entre qu’aujourd’hui, maintenant que lui, comme tout ceux que j’ai connus à Saïgon, a disparu. Je ne sais pas comment il est mort, je ne sais pas quand.

Je l’ai vu quelques semaines avant mon départ pour Paris. Il ne voulait pas s’approcher de moi, comme s’il savait. Il savait que j’allais l’abandonner. Je n’ai pas insisté. Et puis, finalement, le départ.

Le bateau s’éloigne du rivage, lentement d’abord. Je regarde la foule. Un mouvement attire mon attention. Je le distingue à peine. Un éclair se rapproche rapidement. Rouille sort au grand jour. Personne ne fait attention à lui. Un chat des rues parmi les autres. Assis au bord de l’eau, il me fixe avec insistance. C’est la dernière fois que je le vois. La raison pour laquelle mes yeux se rempliront de larmes une fois le bateau parti, personne ne la saura.


Tournesol

Milena Blyweert

Les mots n’ont plus de consistance. Il les arrache à leur sens, et nous bouscule, moi et ma petite sœur, avec ses mensonges, toujours d’une intolérable splendeur. Je ne me souviens plus exactement du jour. Le vent court dans la haie du jardin. Je le vois frôler les murs, caresser la pierre. Il a bu.

Le père a toujours marché d’un pas lourd, il piétine le gazon sans pitié. Près de la porte, une seule fleur demeure, intrépide. Les lieux qu’il parcourt m’appartenaient autrefois. Son crâne dégarni et ses mains veineuses aussi me sont familières. C’était un soir d’une singularité pure. Le crépuscule couvrait les derniers rayons du soleil, timides mais tenaces. L’humidité se déposait lentement sur le gynécée des lilas, ils mouraient dans le noir. On aurait pu voir des larmes s’écouler le long de leurs pétales violets.

Ma sœur avait l’habitude de courir. Qu’importe le reste, partout, elle courait. Elle n’avait pas peur de lui encore. À cet-âge-là, elle courait. Elle répétait souvent que dans ses courses effrénées elle défiait les lois de la physique, qu’elle échappait au temps, que plus elle allait vite, moins il pouvait l’atteindre, la toucher. Il rentrait tard, à l’aube, quand les champs sont pâles et givrés. Il ouvrait la porte de sa chambre, il tâtonnait. Le bruit de ses souliers sur le sol était alors d’une douceur effrayante. Mais les verres vides oubliés sur la table de chevet ne m’inquiétaient pas. Je ne savais pas. Elle ne m’en a jamais parlé, elle ne s’est jamais plainte.

Elle dort pendant un an dans ma chambre. Je veux bien la laisser entrer. Rester là pendant un an, avec elle. Ses yeux à lui sont injectés de sang, sa bouche torve, il chancelle.

Et puis je suis partie à l’université. Le week-end, quand je rentrais, elle était là à m’attendre. Lui pendant ses crises renifle son parfum, il dit que l’odeur est provocante, la gifle, il crie que sa fille est une dévergondée. Il choisit pour elle ses habits, la menace de l’enfermer pendant une semaine. Je lui hurle de la laisser tranquille. Des soirées entières je tiens sa main tremblante dans la mienne, il ne va pas t’enfermer. Bien sûr, il s’excuse. Elle n’ose plus rien dire. Ma sœur ne court plus, elle baisse la tête comme un tournesol à la nuit tombée. Jusqu’à ses seize ans le père l’a eue pour lui tout seul.

Je l’ai croisé par hasard, des années après. Je l’entends, il m’appelle par mon prénom. Sait-il où j’habite ? Non, il me répond qu’il ne le sait pas. Des rides embrassent ses yeux ternes, ses dents rongées par l’alcool, ses doigts sont jaunis. En s’avançant vers moi, il écrase un pourpier paré de petites feuilles vert tendre. Il l’écrase comme il violait ma petite sœur.

Elle a deux enfants maintenant. Je l’ai appris récemment, nous n’échangeons pas réellement. Comment le temps s’est immiscé entre nous, je ne sais pas. Imperturbablement, entre les souvenirs fuyants. Les yeux dans les yeux nous ne nous voyons plus. Je repense aux fois où elle caressait mes paupières, je lui promettais des nuits sans angoisse. J’arrose tous les jours mes plantes, j’en possède plusieurs. Dracaenas, Palmier Areca Dypsis, Zamioculcas, Monstera Deliciosa. Je les arrose, mais elles meurent. Les feuilles flétrissent et la terre pourrit. Je ne pourrai jamais cesser de m’en vouloir, je me sens coupable de ses cauchemars, je m’en veux autant que je souhaiterais qu’elle m’en veuille.


Nom : Sach

(À partir d’un texte de Christophe Tarkos)

Louise Paunovic

Nom : Sách

Prénom : Suzanne

Date et lieu de naissance : 04 mars 1994, Mont-de-Marsan, Vit et travaille à Bordeaux, 16 Passage Sarget, 33000 Bordeaux.

Moi : je suis une personne énergique, en mouvement, debout, assise. Je lis des textes. J’étudie des textes. Je recommande des textes. Je fais du café aussi. Du thé, des biscuits. Je travaille. Je suis une jeune femme d’une vingtaine d’année bientôt la trentaine. Je suis une personne non-violente, calme, raisonnée. Je vends des livres et du café, des gâteaux. Je suis polie, courtoise, accueillante. Je suis une jeune maman, une vendeuse, une amie de confiance.

Moi : je n’ai pas d’opinion politique. Je suis catholique, seulement le dimanche. Je suis grecque et serbe et mongole et française aussi. Je suis traditionaliste, très peu. J’ai fait des études. Je parle français, vietnamien, anglais, grec, chinois et allemand. Je possède des dictionnaires. J’ai assez d’argent. Je suis nostalgique. Je ne suis pour rien. Je ne suis pas pour. Je n’y suis pour rien.

Je tiens un café-librairie. Pendant la journée, je cuisine, je lis des livres. J’ouvre tôt le matin. Je prépare le menu du jour, je mets à cuire. Les premiers clients arrivent. Je sers le café, je range les étagères, je prépare.  Je regarde par la fenêtre. Mon four est allumé. J’accueille, je discute.

Je passe la serpillère.

Après, c’est propre.